Le travail en équipe: pour le meilleur et pour le pire
- nicolasnussbaumer0
- 11 févr.
- 3 min de lecture
J'aborderai aujourd'hui l'une des facettes - moins connues du public - de l'approche systémique: le travail en équipe institutionnelle.
Il convient ici de rappeler qu’une institution n’est pas une famille et qu’un agrégat n’est pas un système pour reprendre les mots de Robert Pauzé et de Linda Roy qui précisent que toute interrelation organisationnelle suppose des attractions, des affinités, mais aussi des répulsions entre les personnes amenées à devoir travailler ensemble. « En effet, c'est généralement en amplifiant leurs ressemblances, et en minimisant leurs différences que les individus vont d'abord tenter d'établir un contact (…) La recherche de similitudes semble avoir plusieurs fonctions :
Premièrement, elle permet une certaine régulation de la tension engendrée par la rencontre d'individus qui ne se connaissent pas et qui ont à entrer en relation.
Deuxièmement, le fait de se trouver certaines similitudes semble favoriser un rapprochement sur le plan affectif » (…) en effet, « aucune de nos grandes organisations de travail ne pourrait durer si autre chose que le travail ne liait les hommes entre eux».
Mais bien sûr, passé ce que l’on pourrait appeler la lune de miel dans les débuts d’une équipe institutionnelle, comme on a pu commencer à le pressentir plus haut, l'émergence et la négociation des différences individuelles ne se fait pas sans enclencher des confrontations entre les éléments du système.
De fait, se différencier signifie
1+ faire le deuil du consensus autour duquel le système s'était préalablement organisé pour permettre la circulation d'informations divergentes et
2+ vivre un certain sentiment de désordre et d'inconfort lié en partie au fait que le système en se différenciant perd de sa « régulabilité ».
Le modèle systémique permet aux interventions systémiques d’opérer en étant conscient que, par exemple dans un centre accueillant des enfants, « on ne peut comprendre le fonctionnement d'un groupe d'enfants en centre d'accueil sans se questionner en même temps sur le fonctionnement de l'équipe éducative qui agit comme récipient. L'inverse est aussi vrai. Il en est de même pour l'équipe éducative dans l'institution et l'institution dans le réseau social. Tous s'emboîtent et s'influencent réciproquement » (Pauzé ; Roy, 1987).
Que fait-on dans une équipe institutionnelle, par exemple une équipe éducative d'un foyer d'accueil pour enfants, ou une équipe d'une institution s'occupant de problèmes d'addiction (alcool, drogues etc) lorsque "l'ambiance est plombée, rien ne se dit en réunion, des collègues sont en rupture de dialogue"? Et si en même temps des bruits de couloir vont bon train et des réunions parallèles officieuses s'organisent? Ou encore des courriels incendiaires sont envoyés avec copie aux autres collègues et à un supérieur hiérarchique?
Quatre risques guettent alors cette institution lorsque l'émotion, l'angoisse, le sentiment d'impuissance se mettent de la partie:
L'indifférenciation, lorsqu'une une forte émotionnalité ne permet plus d' articulation avec le pôle intellectuel.
L'apparition d'un bouc émissaire au sein de l'équipe, professionnel qui, à tort ou à raison, a l'impression que le système dysfonctionne et s'entête de plus en plus maladroitement à le changer.
Le clivage, qui voit apparaître deux sous-groupes dans l'équipe selon appartenances ou affinités, et qui ne se parlent plus. La logique d'exclusion "ou...ou..." prend le dessus au détriment d'une logique d'intégration "et...et...".
La projection: dans cette fusion émotionnelle, chacun risque d'être aveuglé ou sourd à l'autre. Le mal-être personnel est projeté sur autrui.
Deux modes d'action peuvent tenter de remédier à ce type de situation délétère, qui s'avère dommageable tant pour les membres de l'équipe que pour les usagères et usagers dont on a mission de s'occuper:
1+ La volonté de dépasser les tensions en ayant le "courage relationnel" pour s'adresser en direct au collègue concerné et amener un point à la prochaine réunion d'équipe. Mais souvent les émotions comme la peur, la colère, voire la rage empêchent cette démarche
2+ Le dialogue intérieur. En supervision d'équipe, une superviseuse propose parfois un moment de silence avec une réflexion personnelle, un dialogue intérieur sur quelques questions comme:
"Dans mon équipe, quand je veux diaboliser quelqu'un, quels liens y a-t-il entre ce qui se passe dans "l'ici et maintenant" et ce qui s'est déroulé dans ma famille d'origine?"
"Qui voudrais-je éliminer car j'ai l'impression qu'il m'empêche de travailler ou d'être moi-même? Puis-je comprendre sa logique, même s'il m'énerve?"
"Que devrais-je faire pour le rencontrer?"
"Derrière qui aurais-je tendance à me cacher?"
"Que puis-je apporter dans cette équipe?" (Meynckens-Fourez M. 2017).
L'expérience montre qu'établir des liens entre l'histoire personnelle et la place institutionnelle apaise et permet parfois de dépasser les enkystements
Références:
Meynckens-Fourez M., 2017. L’équipe et ses coéquipiers: pour le meilleur et pour le pire. Thérapie familiale, Genève, 38, 4, 371-392.
Pauzé R., Roy L., 1987. Agrégat ou système : indices d’analyse. Trace de faire, 4, 41-57.
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